Pourquoi un revue antinational internationaliste ?
« Routes sucrées » ou « Straßen aus Zucker » est un revue politique de gauche, jusqu’ici publié en allemand. Fondé à Berlin en 2009 en réaction aux sentiments nationalistes provoqués par la Coupe du monde de football et l’anniversaire de la réunification allemande, il n’était à l’origine qu’un projet à titre occasionnel pour la jeunesse. Par la suite, les bons retours nous ont incité-e-s à adopter une parution trimestrielle. Depuis, huit éditions ont été publiées. Le tirage le plus récent a atteint les 180 000 exemplaires et le journal est lu dans tous les pays germanophones. Les articles traitent, entre autres, de sujets tels la critique de la vie quotidienne, du nationalisme, du capitalisme ou de la religion, mais aussi d’amour, du rapport entre les sexes et de sexualité. Nous faisons de notre mieux pour écrire des textes à la portée de tous. Des textes militants et engagés, peu compréhensibles et décourageant, il y en a déjà assez.
Pourtant, en écrivant seulement en allemand, nous manquons à l’une de nos valeurs : l’échange (et le partage) au niveau international. Nous sommes étonné-e-s de constater que, souvent, les débats de gauche sont limités à une région seulement parce que la langue fait barrage. Il nous semble aussi parfois que nous n’avons que des connaissances très imparfaites des débats qui se déroulent dans d’autres parties du monde. Et de même, quand nous voyageons à l’étranger, nous sommes confronté-e-s à des idées loufoques concernant ce qui ce passe – apparemment – dans la gauche germanophone. Mais, puisqu’il est évident qu’il faut un tas de gens aux quatre coins de la planète pour changer le monde, il faut d’abord que nous soyons en contact pour nous entendre les uns les autres.
Voici donc notre premier tirage en français. Nous voulons débattre, établir des contacts, tisser des liens. Nous voulons que les débats soient menés par-delà les frontières linguistique (sans parler des frontières nationales, évidemment). Pour ce faire, cette édition contient des articles sur des sujets qui nous tiennent à cœur.
Si vous voulez contribuer et discuter, contactez-nous ! Nous publierons de façon anonyme les commentaires et les discussions sur notre site internet, si vous êtes d’accord. Notre envie d’échange et de débat repose sur deux principes fondamentaux que nous voulons ébaucher ci-dessous. Un mouvement porté par nos intérêts et nos idéaux devrait être, entre bien d’autres choses, à la fois international et anti-national.
Pourquoi anti-national ?
L’objection que nous entendons le plus souvent vis-à-vis de notre position anti-nationale, est qu’en fin de compte, ce pays est aussi « notre patrie ». D’une certaine façon, ce n’est pas que faux : en tant que résidents d’un certain pays, les gens détiennent des documents officiels, dont un passeport ou une carte d’identité, leur « conférant le droit » de vivre et de travailler dans leur pays. Quand on n’arrive pas à se faire embaucher, c’est l’administration de « notre pays» qui nous harcèle et nous force à accepter n’importe quel emploi ou même nous criminalise. C’est « notre pays » qui nous offre ce monde de concurrence, qui fournit l’enseignement scolaire, soit de façon compréhensive, soit sous forme de bourrage de crâne, en nous faisant croire que pour réussir dans cette société, il faut entrer dans la course. Tout cela parce que notre « propre État » doit concurrencer d’autres États. Et malheureusement, nous dépendons tous du succès économique qu’aura « notre État » dans le marché mondial. Puis, quand les budgets étatiques se reserrent, on nous appelle au sacrifice « pour le bien de la nation », ce qui ne nous a jamais fait du bien. Et lorsque « notre pays » décide qu’un pays quelconque (ou une alliance de pays) est son « ennemi » et que ses soldats mercenaires ne suffisent plus à lui faire la guerre, c’est à nous d’aller abattre des gens ou bien de nous faire abattre. Merci beaucoup !
Pour ceux qui sont sans papiers, le concept de « nation » est encore plus violent. Ils doivent se protéger d’un côté du harcèlement de l’État, et de l’autre de violences racistes. Vous vous rendez compte que le problème ne réside pas dans un abus de nationalisme (ou de patriotisme, qui sont pour nous la même chose) ou dans la gouvernance d’un « mauvais » parti. Non, la cause réelle du problème est l’idée même de la « nation », qui contient en elle les graines de tous les maux cités ci-dessus. Voilà pourquoi nous sommes antinationaux. La nation et l’amour de la nation sont mortels.
Notre régime porte le nom de Deutschland. Pour les gens en Argentine, il s’appelle Argentina, et en Russie, Россия. Voici un exemple pour illustrer notre pensée sur le patriotisme et la nation : en 2012 (mais pas qu’en 2012, évidemment), pendant le championnat de la Coupe du monde de football, certains espéraient que la Grèce remporte la victoire, « la nation battue ayant besoin d’espoir et de joie ». Ces gens-là connaissaient les effets qu’ont le patriotisme sur une société : les antagonismes sociaux sont oubliés du jour au lendemain.
Même les SDF grecs, s’il n’ont rien à manger, auront au moins de quoi se réjouir et pourront être fiers de « leur patrie ». Et de plus, cette fierté naïve ira jusqu’à faire obstacle aux luttes sociales pour le changement des conditions actuelles, qui causent, entre autres, faim et vagabondage. Mais beaucoup de Grec-que-s se foutent du succès économique et sportif de leur État au niveau international depuis déjà bien longtemps, parce qu’ils et elles savent qu’il n’améliorera en rien leurs conditions de vie. Au contraire, ils et elles se mettent a prendre leurs vies en mains eux-mêmes et à fonder des initiatives solidaires au sein des petits espaces dans lesquels le « collectif » est encore possible (comme ce qui a été fait quelques années avant en Argentine).
Nous non plus ne plaçons aucun espoir dans une hausse du PNB (produit national brut), parce que nous savons qui en tirera profit – pas nous. Et même celles et ceux qui en profitent pourraient aller bien mieux dans une société organisée de façon plus rationnelle. Nous rejetons le baratin au sujet de l’« importance d’attirer les entreprises » : ce motif servant à justifier toutes les mesures d’austérité révoltantes. Nous rejetons également le discours libéral nous expliquant que nous devons être fier-e-s de la constitution de « notre » État dit « providence ». Le fait, que nous ne puissions pas choisir la constitution qui nous plaît le mieux dans le monde, pour aller vivre dans ce pays en tant que citoyen-ne-s, nous montre déjà que les États ne se trouvent pas dans le rôle de « bienfaiteurs » ou « d’agents du bien-être » face à leur population. Nous refusons de chanter les victoires de « notre » équipe nationale. Et à la place nous remémorons les victimes de notre régime.
Jamais nous ne hisserons le drapeau noir-rouge-or de l’Allemagne. À moins d’avoir d’abord pris bien soins d’en découper la partie dorée pour ne laisser que les couleurs porteuses de plus d’espoir. Le noir et le rouge. Ou bien laissons directement de côtés tous les drapeaux. Nous ne voulons pas de nations, mais des amis.
Nous voulons une bonne qualité de vie pour toutes et tous, et nous voulons que tout le monde puisse participer aux décisions politiques. Ce n’est pas aux administrations et aux parlementaires de décider que des contraintes capitalistes détermineront les salaires, ou d’estimer que les allocations et le soutien aux demandeurs d’asile sont suffisants ou non.
Pourquoi internationaliste ?
Nous croyons que l’internationalisme est un essai de surmonter les frontières nationales. C’est pour cela que le concept d’internationalisme qui prévaut dans certains milieux de gauche nous donne du fil à retordre : il ne signifie pas le soutien automatique à tout mouvement de résistance dans le monde entier. Nous n’offrons pas de façon naïve notre solidarité à n’importe quel mouvement insurrectionnel, mais lui demandons d’abord sa cause. Nous trouvons illogique que l’ennemi de mon ennemi, serait mon ami. Nous soutenons les luttes émancipatrices se battant sur la base d’arguments valides. Nous critiquons les dissident-e-s qui ce donnent des airs de guerriers viriles et patriarcaux, qui réclament l’obéissance au sein de le parti, et ne veulent pas réduire le temps de travail des travailleurs et travailleuses mais élire « l’employé-e du mois ». Nous critiquons également les gens qui tolèrent le racisme et l’antisémitisme dans leur mouvement, ou rejettent les personnes LGBTQ. Nous n’avons rien en commun avec celles et ceux dont la critique du capitalisme se résume à faire des banquiers les boucs-émissaires de tous les maux causés par le capitalisme, ni avec toutes les personnes qui veulent maintenir « la pureté ethnique », et ni avec les gens à qui la domination ne déplaît que quand elle est entre de « mauvaises » mains et qui veulent instaurer leur pouvoir. Même s’il arrive que nous critiquions la même domination, nous ne voulons pas de victoire opportuniste, nous voulons vaincre avec nos convictions véritables. Nous ne comprenons pas celles et ceux qui mettent de côté leurs idéaux, uniquement afin de faire croître le nombre de partisans.
Mais alors, qu’est-ce que nous voulons dire par « internationalisme » ? Actuellement, les gens sont divisés en « nations » et « peuples ». Notre but est de faire en sorte que tous les peuples voient leur unité au-delà de ces séparations superficielles. Il n’y a qu’une humanité, qu’un genre humain. Le patriotisme – quelle qu’en soit la raison – est le contraire exact de la solidarité politique à laquelle nous aspirons. Le patriotisme et la solidarité politique internationale s’excluent mutuellement. Tôt ou tard, les patriotes s’avéreront être nos adversaires, car leur but n’est pas, en tout et pour tout, la libération de l’humain.
Cela nous fournit déjà des raisons suffisantes pour être antinationalistes. Pourquoi alors limiter nos discussions aux frontières contre lesquelles nous nous battons, quand nous nous sentons beaucoup plus proches d’une féministe du Bénin que d’un raciste de Berlin ? En plus, le capitalisme est un problème global. Le communisme anti-autoritaire pour lequel nous luttons, où la production suivra les besoins des gens (et non le marché), ne pourra pas s’établir uniquement dans un pays. Très vite, les armées impérialistes viendraient l’étouffer, comme nous l’avons vu auparavant, à chaque fois qu’une amélioration des conditions de vie d’un-e chacun-e fut tentée. D’ailleurs, dans une économie mondiale basée sur la distribution des tâches, on serait obligé de se soumettre aux critères de concurrence de l’économie capitaliste pour avoir accès aux choses non disponibles dans certaines régions, ce qui aurait un effet négatif sur la production axée sur les besoins.
C’est pourquoi il faut s’organiser, même si la révolution n’est pas imminente. En ces temps-ci, où nous ne sommes qu’une minorité radicale, nous pouvons construire des structures qui fonctionnent au-delà des frontières linguistiques, des structures qui rendent possible la création d’organisations révolutionnaires, pour que, en des temps mouvementés, nous puissions discuter de l’établissement d’une société émancipatrice de la façon la moins hiérarchique possible. Nous voulons que plus personne n’ait à suivre des ordres ; nous pensons qu’il est nécessaire de pratiquer une forme de communication non-hiérarchique. Comment mettre fin à des hiérarchies de savoir ? Comment éviter que ce ne soient que des hommes ou des vieux qui aient la parole et le pouvoir ? Comment écrire des textes compréhensibles par tous, sans trop simplifier ? Et quelles formes d’organisation sont nécessaire pour cela ? C’est ce que ensemble nous voulons découvrir !
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Pour l’instant, nous vous souhaitons une bonne lecture ! Et évidemment, si vous voulez émettre une critique sur un article, nous nous ferons un plaisir de vous lire.
Lectures complémentaires:
umsganze.org/other-languages
gegen-kapital-und-nation.org/en